Thèse annexe présentée pour l'obtention du grade de Docteur en Sciences
Université Catholique de Louvain
Faculté des Sciences
Département de Physique
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Les explosions électriques ne sont pas dues aux forces d'Ampère mais à des ondes de pression
Thèse annexe présentée pour l'obtention du grade de Docteur en Sciences
Par Masuhuko Zibukira
Promoteur : Auguste Meessen
Louvain-la-Neuve
1996
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Introduction
Cette étude porte surtout sur la recherche d'une explication des explosions électriques. Il s'agit de la fragmentation violente de fils métalliques relativement minces, quand ils sont parcourus par un courant électrique très intense. Ce phénomène est connu depuis longtemps, puisque Faraday (1857) s'en servit déjà pour examiner les propriétés optiques d'un sol de toutes petites particules métalliques, produites par de fortes explosions électriques. On a découvert que ces explosions suivent une fusion très rapide du métal et qu'elles sont associées à une stratification transversale du fil. Graneau (1983) découvrit que des fils d'aluminium peuvent même se fractionner lors du passage d'un courant intense, quand ils sont encore à l'état solide. Tout cela était non élucidé.
Nous avons été confrontés, en même temps, à un problème qui touchait aux bases de l'électromagnétisme, puisque Graneau proposait que ses expériences sur les explosions électriques des fils d'aluminium et une série d'autres expériences exigeaient un retour à la "loi de la force d'Ampère". Elle prévoit que des éléments de courant colinéaires voisins se repoussent mutuellement, tandis que la théorie de Maxwell nie toute interaction dans ce cas. D'après Graneau, il y aurait place pour deux lois d'interaction courant-courant. La loi de la force d'Ampère ne s'appliquerait qu'aux "éléments de courant" dans les conducteurs métalliques, pour lesquels elle avait été conçue, tandis que des particules chargées qui se meuvent dans le vide subissent la force de Lorentz. Ce point de vue a été justifié théoriquement par Rambaut et Vigier (1989, 1990). Leurs arguments n'avaient pas été contestés et les expériences de Graneau restaient largement inexpliquées.
Notre attention a été attirée sur ce sujet par un article, paru dans une revue de vulgarisation scientifique (Guillemot, 1990). Il était intitulé: "On avait oublié la force d'Ampère" et il commençait en ces termes: "Y aurait-il, cachée dans les fils électriques, une force inconnue" Plusieurs expériences sont incompréhensibles dans le cadre de la théorie électromagnétique actuelle; on ne peut les expliquer qu'en faisant appel à une force découverte par Ampère il y a cent soixante-dix ans, et oubliée depuis".
La loi de la force d'Ampère n'est même plus mentionnée dans les manuels de physique. Sa découverte fut cependant le fruit d'un travail génial, aussi bien du point de vue expérimental que théorique. Il partait de la découverte d'Oersted, faite en 1820. Ampère découvrit qu'un courant électrique ne peut pas seulement faire tourner l'aiguille d'une boussole, mais qu'il agit également sur un autre courant électrique. Il eut alors l'idée que le magnétisme n'est qu'un épiphénomène. L'action d'un courant sur l'aiguille d'une boussole proviendrait simplement du fait que celle-ci contient des courants électriques a l'échelle des atonies. C'était une proposition très audacieuse, niais bien charpentée. En 1821, Ampère a déjà formulé la loi qui décrit l'interaction entre deux éléments de courant, en fonction de la distance qui les sépare et de leurs orientations relatives. Il justifia tous les aspects de cette loi, avant de publier la synthèse de ses travaux (Ampère, 1827). Son titre était significatif: " Théorie mathématique des phénomènes électrodynamiques uniquement déduite de l'expérience. "
C'était une théorie, puisqu'elle allait au-delà des observations. Elle impliquait une analyse mathématique fouillée des expériences, mais pour Ampère, la loi des forces d'interaction proposée était assurément une loi empirique. Il reconmaissait qu'il y avait encore beaucoup d'inconnues. On ne savait pas ce qu'est un courant électrique. S'agit-il d'un fluide qui s'écoule ou de particules chargées qui se déplacent" Dans ce cas, il faudrait qu'il y ait des particules chargées positivement et d'autres qui sont chargées négativement, mais quelles seraient les vitesses des uns et des autres? On ne conmaissait pas non plus la cause des forces d'interaction, mais Ampère était convaincu que quelque soient les découvertes que l'on ferait a cet égard, cela "ne changera rien aux résultats de mon travail, puisque pour s'accorder avec les faits, il faudra toujours que l'hypothèse adoptée s'accorde avec la formule qui les représente si complètement".
Les observations se rapportaient cependant à des circuits électriques fermés, tandis que la loi d'Ampère s'appliquait à des "éléments de courant". On a découvert plus tard qu'on peut formuler différentes lois différentielles, compatibles avec les mêmes faits observés. Ampère a levé cette ambiguïté, en ajoutant a ceux-ci un postulat qu'il considérait comme évident: le principe de l'action et de la réaction. Puisque la loi de la force d'Ampère arrivait à satisfaire cette restriction, il pouvait même y voir un gage de vérité. Il se fait cependant que le principe invoqué n'est pas valable dans le cas présent. Les travaux d'Ampère ont été honorés, a juste titre, par le nom qu'on a donné à l'unité de courant électrique et il y a même une "loi d'Ampère". Elle définit la circulation (la somme des composantes tangentielles) du champ magnétique le long d'un circuit fermé en fonction du courant électrique total qui le traverse. Ce n'est pas la loi qui avait été mise en avant par Ampère. Son objectif fondamental était au contraire d'éliminer le concept du champ magnétique. Il est étonnant qu'on ait caché ces faits dans l'enseignement de la physique. Dans le cas présent, il est pourtant très instructif de se rendre compte des idées sous-jacentes à l'évolution de la physique. En 1831, Faraday découvrit qu'on peut générer un courant dans un circuit fermé par un courant qui circule dans un autre circuit, du moment que Ce courant varie assez rapidement dans le temps. On pouvait également "induire" un courant en bougeant un aimant, mais d'après la théorie d'Ampère, ce n'était pas fondamental. On commença dès lors à formuler une idée unificatrice, en supposant que les courants électriques résultent de mouvements de particules chargées et qu'il suffit de trouver la loi d'interaction entre charges ponctuelles. Au repos, elles interagissent par la loi de Coulomb. Quand elles se meuvent à vitesse constante, il y a une force additionnelle, modifiant la loi de Coulomb. Quand elles sont accélérées, il y a une modification supplémentaire. La loi globale doit rendre compte des interactions courant-courant (Ampère) et des effets d'induction (Faraday).
Il y eut différentes propositions, mais la plus importante était celle de Franz Neumann (1847). Il généralisait la loi d'Ampère pour des "éléments de courant", sans devoir faire des hypothèses spéculatives sur les mouvements des particules positives et négatives qui interviennent. L'exploit résidait dans le fait que la force d'interaction proposée était parfaitement en accord avec le principe de l'action et de la réaction et que le concept du champ magnétique n'était pas nécessaire. Dans son livre, Graneau (1985) affirme que l'électrodynamique d'Ampère-Neumann est encore toujours valable pour les métaux. Elle impliquerait évidemment des actions-à-distance, conformes à la mécanique newtonienne, mais ceci semblait être possible comme approximation non-relativiste.
La théorie de Maxwell retient, par contre, le concept du champ magnétique. Il y joue même un rôle capital. Cela provenait des intuitions de Faraday. Son "sens physique" l'amenait à penser qu'une interaction électromagnétique ne peut pas être simplement une action-à-distance, quelle que soit l'élégance de la formule mathématique qui les décrit. Il supposait qu'il doit y avoir une modification de l'éther dans l'espace intermédiaire, et que cette modification doit se propager d'une particule à l'autre. Si c'était le cas, on pourrait peut-être s'en rendre compte plus facilement quand les particules chargées sont en mouvement et donc au moyen des effets des courants électriques. Maxwell exprima ces idées, en décrivant les modifications de l'éther au moyen du concept des champs électriques et magnétiques, Les équations de Maxwell prescrivent les variations possibles de ces champs dans l'espace et dans le temps. Elles ont conduit à la découverte des ondes électromagnétiques et à la théorie de la relativité. Celle-ci élimine le concept de l'éther et nous verrons qu'elle modifie la théorie de Maxwell à certains égards, mais le choix effectué par Maxwell fut un pas décisif sur la vole des progrès de la physique.
Maxwell (1872) rendit cependant un hommage appuyé à celui qui commença à construire la théorie des phénomènes électromagnétiques: "L'étude expérimentale par laquelle Ampère a établi les lois de l'action mécanique entre les courants électriques, est l'un des plus brillants exploits de la science". Graneau (l985) pense même qu'il faut y revenir, mais sa proposition signifie que l'ensemble formé par les électrons de conduction et le réseau des ions positifs d'un métal se comporterait autrement que ne le prévoit la théorie de Maxwell. C'est cela que Rambaut et Vigier (1989, 1990) semblaient pouvoir "démontrer" théoriquement et ils semblaient pouvoir "prouver" également que la loi des forces d'Ampère est compatible avec la théorie de la relativité. A notre conmaissance, les articles de Rambaut et Vigier n'ont jamais été contestés jusqu'à ce jour.
Notons que Jean-Pierre Vigier est un théoricien connu et qu'il fait partie du "editorial board" de la revue américaine Physics Letters. Peter Graneau a publié beaucoup d'articles sur les forces d'Ampère, dépassant chaque fois le barrage des referees. Il a réalisé ses premières expériences au Francis Bitter National Laboratory du MIT et il a continué au Center of Electromagnetics Research de la North-western University à Boston. Pourtant, "c'est bien la première fois qu'une théorie scientifique aussi complète et aussi éprouvée que l'électromagnétisme de Maxwell se trouve prise en défaut" (Guillemot, 1990).
L'examen des articles originaux nous a conduit à la conclusion qu'il y avait réellement un problème non résolu, qu'il soulevait des questions fondamentales et qu'il avait des implications pédagogiques. Tous ces aspects étaient liés a la démarche à suivre pour construire la physique. On part de faits observés, mais pour établir les fondements d'une nouvelle théorie physique, on a toujours dû y ajouter des idées qui n'apparaissaient pas directement. Il a fallu s'écarter surtout de certaines idées reçues. Maxwell a été confronté à un choix et il a opté pour une voie qui n'était pas celle d'Ampère et d'autres physiciens de son époque. Des choix de ce genre sont essentiels en physique et devraient donc être mis en relief dans l'enseignement de cette branche. En cherchant à résoudre le problème soulevé par les expériences de Graneau, nous avons été amenés nous-mêmes à devoir mettre en œuvre la "méthodologie de la physique" d'une manière très concrète.
Dans la première partie, nous présentons et analysons les données empiriques qui semblent justifier l'existence des forces d'Ampère. Cette partie est donc axée sur l'étude de l'interaction courant-courant et elle met en évidence des effets qui résultent de la force de Lorentz, mais qui ne sautent pas aux yeux quand on n'y pense pas. Ceci concerne tout spécialement la propulsion par courants divergents. Elle a faussé l'interprétation de toutes les expériences où intervenaient des contacts métal-mercure. Seules les explosions électriques des fils d'aluminium restent inexpliquées à ce stade.
La seconde partie est consacrée à un examen critique des arguments théoriques de Rambaut et Vigier. Certaines idées de Maxwell doivent être corrigées dans le cadre de l'électrodynamique relativiste. Il est même vrai que les champs électriques et magnétiques créés par des particules chargées en mouvement produisent des effets qui ressemblent assez bien à ceux de l'électrodynamique d'Ampère-Neumann. Pourtant, cela ne suffit pas pour justifier l'existence des forces d'Ampère. Nous montrons pourquoi la thèse défendue par Rambaut et Vigier n'est pas acceptable.
Dans la troisième partie, nous revenons au problème qui subsiste, celui des explosions électriques. Nous avons rassemblé et analysé une série d'expériences et généralisé certaines théories. Les "instabilités de tension superficielle" et les "instabilités magnétohydrodynamiques" existent, mais elles n'expliquent pas les faits observés les plus importants. Normalement, les fils métalliques fondent avant d'exploser et des photographies instantanées, prises en lumière visible et aux rayons X, révèlent alors l'apparition d'une stratification transversale assez dense au cours de l'explosion. Les liaisons atomiques y sont rompues. Pourquoi? Nous proposons une action combinée de deux processus, dont chacun est déjà très surprenant:
1. L'échauffement ultra-rapide du métal génère des ondes de pression. Les conditions aux frontières conduisent alors a des ondes stationnaires longitudinales et donc à une diminution de la pression suivant une répartition stratifiée.
2. L'échauffement ultra-rapide conduit à une surchauffe du métal liquide et même à une "ébullition explosive" aux endroits où la pression est abaissée. C'est une transition de phase très rapide, de l'ordre de la microseconde, tandis que l'explosion de la poudre prend environ une milliseconde.
Au cours de ce travail, nous avons rencontré de nombreuses questions fondamentales, permettant de mieux connaître la physique et surtout sa méthodologie. La dimension pédagogique a été constamment présente à notre esprit, car l'objectif de l'enseignement de la physique est d'apprendre à réfléchir. Il ne s'agit pas simplement de transmettre un savoir, acquis par d'autres dans le passé, mais d'initier l'élève ou l'étudiant à l'utilisation de ses propres moyens. L'enseignant doit cultiver la curiosité et la capacité d'étonnement. Il est donc essentiel d'encourager l'élève a "ouvrir ses yeux" et à se poser des questions. En même temps, il doit apprendre à être rigoureux et critique. C'est plus que de faire répéter ce qu'on a dit.
Nous avons été très sensibles au fait qu'on peut faire des recherches scientifiques avec peu de moyens matériels. Le problème posé touchait aux bases mêmes de la physique et il faisait appel a des expériences réalisées avec des moyens dont nous ne disposions pas. Nous avons pourtant fait des expériences révélatrices, avec des moyens très simples. Même des expériences très sophistiquées peuvent être braquées sur un aspect trop particulier. On peut répondre à une question particulière, sans se préoccuper de la résolution du problème fondamental. Pour cela, on doit surtout chercher à établir des liens entre différentes facettes de ce problème posé et cela ne demande pas nécessairement des moyens énormes. Il est d'ailleurs encourageant de savoir que de nombreuses découvertes ont été faites dans le passé avec des moyens très simples. Ceci est très important pour les jeunes du Tiers-Monde.