Dissertation présentée en vue de l'obtention du grade de Docteur en Sciences
Université Catholique de Louvain
Faculté des Sciences
Département de Physique
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Conception et réalisation de montages électroniques pour l'enseignement de la physique dans les pays du Tiers-Monde.
Dissertation présentée en vue de l'obtention du grade de Docteur en Sciences
par Masuhuko Zibukira
Promoteur: Auguste Meessen
Louvain-La-Neuve
1996
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Introduction
Un problème majeur pour les Pays du Tiers-Monde
Lesécoles des régions en voie de développement souffrent d'un manque flagrant de matériel didactique pour l'enseignement de la physique. C'est particulièrement vrai pour des écoles du Kivu, région montagneuse située dans la partie Est du Zaïre, à côté du Rwanda, du Burundi et de l'Ouganda (région des Grands-Lacs). Les écoles secondaires sont pourtant très nombreuses dans cette région. Il y en a non seulement dans des centres urbains comme Bukavu, Butembo et Goma, mais aussi à la campagne et même dans les coins les plus reculés de la brousse. Des institutions d'enseignement supérieur et universitaire deviennent également de plus en plus nombreuses:
- les Instituts Supérieurs Pédagogiques, comme celui de Bukavu et de Rutshuru,
- l'Université Catholique de Bukavu et l'Université Catholique du Graben (Butembo),
- les Universités Protestantes à Bukavu et à Goma,
- l'Institut Supérieur de l'Audiovisuel à Bukavu,
- l'Institut Supérieur de Développement Rural à Bukavu,
- l'Institut Supérieur des Techniques Médicales (ISTM) à Bukavu,
- les Instituts Supérieurs de Gestion des Affaires (ISGA) à Bukavu et Goma, etc.
Des cours de physique se donnent dans tous ces établissements mais très rares sont des écoles qui disposent de laboratoires et de matériel didactique approprié.
Quelques écoles privilégiées ont pu bénéficier de l'aide des pays développés via des organismes de coopération ou des communautés religieuses qui les ont équipées en matériel de physique importé. Ces écoles sont cependant une goutte d'eau dans l'océan des autres écoles, complètement démunies. Même ces écoles "équipées" se heurtent au problème de l'utilisation effective de leur matériel et de sa maintenance. Ces difficultés étaient atténuées quand les professeurs de physique étaient des coopérants, issus des pays où le matériel avait été conçu et fabriqué. Ils pouvaient, avec beaucoup de précaution, oser utiliser ce matériel très rare, sophistiqué et coûteux. Les élèves n'étaient souvent réduits qu'à de simples spectateurs devant les "tours de magie" de l'homme blanc". Et même là où les élèves pouvaient, eux aussi, manipuler l'un de ces appareils, après en avoir assimilé le mode d'emploi, celui-ci n'en restait pas moins une boîte mystérieuse, affichant des résultats ou produisant des phénomènes d'une manière quasi magique.
Depuis que les coopérants ont cédé la place aux professeurs nationaux, la situation s'est aggravée. Les professeurs de physique n'utilisent pratiquement plus le matériel importé, parce qu'ils ont trop peur de le détériorer, un remplacement ou une réparation n'étant pas possibles. La plupart des professeurs préfèrent donc ranger soigneusement leur matériel dans des armoires, fermées à clé, en attendant la visite d'une autorité importante pour le sortir. En 1989, lors de sa visite au Rwanda, le professeur Meessen, promoteur de cette thèse, a pu se rendre compte lui-même de cette triste situation. Même les écoles "équipées" sont donc confrontées en pratique aux mêmes problèmes que la grande masse des écoles qui ne l'étaient jamais.
Conséquences pour l'enseignement et le développement économique
Au Kivu et dans pratiquement toutes les écoles du Tiers-Monde, les cours de physique se donnent uniquement "à la craie". Le professeur décrit les phénomènes physiques - et les appareils - au moyen de schémas dessinés au tableau. Il donne des formules, qu'il démontre et demande de mémoriser telles quelles. Le cours se termine souvent par des exercices numériques ou des problèmes, pour appliquer les formules et préparer les examens. Les activités des élèves se réduisent à des substitutions, quelques opérations arithmétiques, et un effort de mémorisation. Dans tout ceci, le professeur s'inspire d'un manuel ou de son ancien cahier de notes, qu'il suit souvent à la lettre, pour être conforme au programme national.
La physique enseignée de cette manière est évidemment aride et peu instructive pour les élèves. Elle perd son caractère expérimental, qui en fait le charme. Les formules sont pratiquement vides de sens puisqu'elles ne sont pas reliées aux phénomènes eux-mêmes qu'elles sont sensées décrire. Elles n'émergent pas d'une observation directe de la nature et elles ne sont pas soumises au contrôle des vérifications expérimentales. Elles sont retenues uniquement pour pouvoir résoudre les problèmes aux examens. En fait, les élèves sont dégoûtés par les cours de physique. Ils trouvent cette matière extrêmement compliquée et inintéressante. Aussitôt que les examens sont terminés, ils s'empressent de l'oublier.
Ce type de formation ne procure évidemment pas aux finalistes ce qui serait nécessaire pour le développement économique de leurs pays. Ils sont seulement bons à enseigner,... comme ils l'ont vu faire eux-mêmes. Ceci crée un cycle infernal qui se reproduit chaque année et maintient nos pays dans un sous-développement continuel. Placés devant des appareils concrets ou des phénomènes naturels réels, exigeant une réflexion personnelle, nos "physiciens" sont désemparés et peu différents des profanes en cette matière. Ne leur demandez surtout pas de réfléchir sur la façon d'utiliser leurs connaissances ou de concevoir eux-mêmes des équipements adaptés aux besoins de leurs pays, en utilisant des ressources locales. Ils en sont incapables.
Vers une solution du problème
La situation évoquée ne pouvait pas nous laisser indifférent. Dès que nous en avons pris conscience, il nous fallait trouver des moyens simples mais efficaces pour sortir de l'impasse. Notre propre cheminement nous a montré que c'est possible.
A l'école secondaire, au Petit Séminaire du Diocèse de Goma où nous avons fait les humanités littéraires, option latin-philosophie, nous avons eu la chance de disposer d'une armoire de physique et chimie. Il y avait aussi le manuel de l'Unesco pour l'enseignement des sciences. Des livres de physique et d'autres livres de vulgarisation scientifique se trouvaient à la bibliothèque générale, en quantité suffisante. Il y avait même quelques vieux livres d'électronique des années 1920 et près de la route, nous pouvions récupérer des éléments électriques sur de vielles voitures. Tous les éléments étaient réunis pour commencer l'apprentissage de la physique par autonomie.
Notre professeur de physique, monsieur Ndabita Sylvain, avait assez de confiance en nous pour nous laisser la clé de l'armoire de physique pendant nos heures libres. Nous avons pu réaliser nous-même la plupart des expériences, surtout parmi celles qui sont décrites dans le manuel de l'Unesco. Nous avons commencé l'apprentissage de l'électronique par la lecture de vieux livres et une expérimentation personnelle. Il fallait, à l'époque, fabriquer nous-même des résistances, des condensateurs, des selfs, des écouteurs et des microphones, avec des moyens rudimentaires: mines de crayons, papiers de cigarette. boîtes de cirage, électro-aimants a clous, etc. Une ligne téléphonique fonctionnant à l'aide de piles à papayes et des composants de notre propre fabrication a provoqué l'étonnement des villageois. Cet apprentissage par autonomie, avec des moyens extrêmement simples, était des plus passionnants.
Au Grand Séminaire de Murhesa (Bukavu), où nous avons passé quelques mois, un ami passionné pour l'électronique, monsieur Mweze Dominique, donnait quelques heures de cours au volontaires. C'est la que nous avons pris connaissance des composants à semi-conducteurs. Dans la suite, nous expérimentions nous-mêmes des montages électroniques à l'aide de composants électroniques récupérés sur de vieilles radios chez les réparateurs. Une tige de fer sur un manche en bois munie d'une panne en cuivre à l'extrémité nous servait de fer à souder. Celui-ci était chauffé à l'aide de charbon de bois. Des morceaux d'étain servaient de soudure et du chlorure de zinc de vieilles piles Leclanché servait de décapant. Les composants étaient montés sur des plaques de Formica ou des plaques récupérées sur de vieux appareils.
Lorsque nous avons entamé nos études de Physique-Technologle à l'Institut Supérieur Pédagogique (ISP) de Bukavu, nous avons poursuivi notre apprentissage de l'électronique par nous-même, conscient du rôle que cette branche devait jouer pour que l'enseignement de la physique puisse devenir plus vivant et plus efficace. Là, nous pouvions trouver des livres ou revues chez des amis particuliers, des coopérants étrangers et différents centres culturels ou bibliothèques de la ville. Il y avait surtout un plus grand nombre et une plus grande diversité de composants électroniques à récupérer. Nos travaux de fin de cycle de graduat et de licence étaient donc tout naturellement consacrés à la création de matériel électronique pour l'enseignement de la physique. A l'ISP de Bukavu, nous disposions d'un meilleur équipement et notamment d'un fer à souder électrique.
Retenu comme assistant à l'Institut, nous avons poursuivi ces recherches. Les travaux des finalistes que nous avons dirigés, nos publications au Centre de Recherche Universitaire du Kivu (CERUKI), les séminaires que nous avons animés à l'intention des professeurs du secondaire et des étudiants, tout était centré sur le matériel didactique d'électricité et d'électronique. Nous avons même pu introduire un cours d'initiation a l'électronique pratique dans le programme des finalistes de graduat.
A l'Université Catholique de Louvain, lors de notre année de Diplôme d'Etudes Approfondies, nous avons eu la chance de bénéficier d'un cours structuré d'électronique avec travaux pratiques au laboratoire auprès des professeurs Prieels R. et Delbar T. Grâce à eux, nous pouvions concevoir des montages encore plus simples et plus efficaces. Le professeur Meessen A. nous initiait en même temps, dans son laboratoire, a une meilleure utilisation de notre matériel pour l'enseignement de la physique.
Au cours de nos recherches pour le doctorat, à l'initiative de notre promoteur, nous avons eu l'occasion d'animer des séminaires à l'intention des professeurs de physique du secondaire en Belgique. Le thème était la "réalisation et utilisation de nombreux appareils électroniques bon marché pour les cours de physique. Nous avons continué à concevoir et réaliser des montages, en améliorant aussi les précédents. A l'issue de notre premier séminaire, le professeur Meessen a proposé aux participants de construire eux-mêmes des appareils avec du matériel préparé a leur intention. Cette idée a été adoptée et mise en pratique depuis lors, de nombreuses fois. Nous avons conçu et préparé les réalisations. Nous les avons encadrés avec la collaboration des assistants Plumat et Yernaux. Des exemples d'utilisation didactique étaient proposés en même temps. Nous nous sommes rendus compte que cette initiative a été très appréciée et que même dans les écoles des pays développés, du matériel didactique construit par le professeur lui-même présente de nombreux avantages par rapport au matériel acheté. Nos recherches, initialement prévues pour le Tiers-Monde, se sont donc également révélées utiles pour les pays développés et cela nous a donné l'occasion de tester les réalisations proposées.
Voici le plan de cette thèse.
Le premier chapitre sera consacré à une brève discussion du rôle de l'enseignement de la physique et des moyens à mettre en œuvre. Un accent tout particulier sera mis sur l'apprentissage par autonomie et l'expérimentation, à l'aide d'un matériel très simple. Nous justifierons aussi l'utilisation de matériel d'électronique, notamment dans les écoles du Tiers-Monde.
Dans le deuxième chapitre, le plus important, nous présenterons notre contribution à la qualité de l'enseignement de différentes branches de la physique. Un éventail de montages simples sera présenté, en donnant des exemples d'utilisation concrète dans les cours de physique. Aux développements personnels, nous ajouterons aussi quelques montages particulièrement intéressants, trouvés dans la littérature.
Nous terminerons en parlant brièvement des stratégies adoptées pour assurer la formation, aussi bien des professeurs déjà sur terrain que des futurs professeurs, à la production, l'utilisation et la maintenance du matériel didactique d'électronique.
Nous tenons à avertir le lecteur du fait que cette thèse ne doit pas être considérée comme un catalogue d'appareils didactiques ou un fascicule de travaux de laboratoire. Notre but n'est pas de proposer un ensemble de "recettes" de montages et d'utilisation pédagogique de ceux-ci, mais d'amener les professeurs et les élèves à concevoir eux-mêmes des montages et des utilisations adaptés à leurs propres besoins, en fonction des composants qui sont disponibles chez eux. Les propositions fournies sont donc données essentiellement comme des exemples de ce qui est possible et des incitations à poursuivre cette voie. Elles ne sont ni exhaustives, ni immuables, loin de là. Elles montrent tout simplement, de manière concrète, que les possibilités sont extrêmement nombreuses et invitent à déployer l'imagination.